"Jacques", chanson dramatique de Béranger(1780-1857)
Publié le 6 Janvier 2013
Jacque, il me faut troubler ton somme,
Dans le village, un gros huissier,
Rôde et court, suivi du messier,
C'est pour l'impôt, las! mon pauvre homme!
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
Regarde. Le jour vient d'éclore.
Jamais si tard tu n'as dormi.
Pour vendre, chez le vieux Remi,
On saisissait avant l'aurore.
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
Pas un sou! Dieu! je crois l'entendre,
Ecoute les chiens aboyer.
Demande un mois pour tout payer.
Ah! si le roi pouvait t'entendre!
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
Pauvres gens! L'impôt nous dépouille
Nous n'avons, accablés de maux,
Pour nous, ton père et six marmots,
Rien que ta bêche et ma quenouille.
Lève-toi, Jacque, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
On compte avec cette masure,
Un quart d'arpent, cher affermé;
Par la misère il est fumé,
Il est moisonné par l'usure.
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
Beaucoup de peine et peu de lucre.
Quand d'un porc aurons-nous la chair?
Tout ce qui nourrit est si cher:
Et le sel aussi, notre sucre!
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
Du vin soutiendrait ton courage;
MAis les droits l'ont bien renchéri,
Pour en boire un peu mon chéri,
Vends mon anneau de mariage.
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
Rêverais-tu que ton bon ange
Te donne richesse et repos?
Que sont aux riches les impôts?
Quelques rats de plus dans leur grange.
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
Il entre! ô ciel! que dois-je craindre?
Tu ne dis mot: quelle pâleur!
Hier, tu t'es plaint de ta douleur,
Toi, qui souffres tant sans te plaindre.
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.
Elle appelle en vain; il rend l'âme.
Pour qui s'épuise à travailler,
La mort est un doux oreiller.
Bonnes gens, priez pour sa femme!
Lèvre-toi, Jacques, lève-toi,
Voici venir l'huissier du roi.